Il était une fois un homme comme tous les hommes de la terre des hommes, qui avait pris métier, dans le sillon de son père. Il était passé maitre, au fil des ans, pour dénicher du romarin de grande qualité qu’on ne trouvait que sur les côtes du littoral d’un modeste patelin situé en amont de la légendaire montagne du Cap-Vert. Ses récoltes soignées trouvaient généralement preneurs au marché de son village. Il menait une vie sans soucis, ni tintouin, une galère prédestinée mi-figue, mi-raisin. Or, un jour d’équinoxe, alors que notre homme s’en allait aux environs de coutumes, il croisa, en chemin, le plus vieux pêcheur des parages qui lui grommela, entre deux abordages :
« Je te reconnais, toi… Tu sens le romarin… Le métier n’a déjà plus de secret pour toi, hein ? Si j’avais ton âge, je joindrais le souffle du large pour marchander dans un autre ailleurs. Vive les voyages... Et surtout, que jamais tu ne te décourages ! »
Le marin boiteux avait tout de même un air de sage… Aller vendre ses appâts dans de nouvelles contrées… La marée était basse, le ciel dépeuplé de gris. Au plus tard, il serait revenu avant la nuit. Notre homme partit donc, la cape au vent, les bras chargés d’arbrisseaux et d’ardeur.
Depuis l’aube des toujours, on savait qu’au sommet de la montagne du Cap-Vert, vivait une chamane. Parait-il qu’elle récoltait des milliers d’herbes fines pour en distiller tous les parfums… De ces potions aux arômes d’encens, elle concoctait des huiles et des onguents pour oindre la terre de ses sortilèges bienveillants.
Par ce même soir d’équinoxe, la chamane entendit le vent faire claquer les volets de sa chaumière. Des zestes de romarin avaient même voyagé jusqu’à son nez aiguisé qui savait discerner les cépages, même les plus rares, même les plus fins…
L’homme ne riait plus sous sa cape cent fois trouée. C’est qu’il avait tant marché… Il avait suivi tantôt le mistral, tantôt l’aquilon, gravit des rochers, serpenté des rivières. Comme une boussole sans aimant, sa quête ne semblait vouloir trouver la bonne direction. Soudain, des bancs de nuages blancs rendirent sa vision trouble, l’empêchant de retrouver toutes traces de sentiers qu’il avait défrichées. Exténué, il lui fallait désormais dormir. Son seul souhait était qu’à l’aurore, d’un tel cauchemar il se réveille et qu’il soit de retour au bercail, à bon port.
C’est une odeur de muscat d’agrumes qui réveilla notre homme, étendu dans la rosée matinale. Ses paupières bercées par le chatouillis d’un zéphyr d’oiseaux s’ouvraient dans ce monde en apnée du soleil. Le paysage l’embrassa à bras-le-corps et prit racine en lui, comme par magie.
« Bienvenue au Cap-Vert… Je t’attendais depuis quelques jours, par les messagers de l’équinoxe… Tu apportes du romarin ? C’est une herbe unique qui ne pousse jamais en montagne et qui a pourtant plusieurs vertus qui soignent… Merci d’avoir bravé le vent… »
En tête-à-tête rustique avec son destin, l’homme sourit à la chamane, se leva d’un bond et prit une grande bouffée d’air si pur et si frais que tout son torse se gonfla d’audace et d’énergie. Vaincu d’enthousiasme, il avait senti l’appel primitif d’une vieille souche nomade qui l’insuffla de la mission du chasseur d’antidotes, le désignant à tirer de l’arc-en-solutions, en symbiose avec la nature, pour les futures générations.
On ne vit jamais redescendre l’homme de la montagne du Cap-Vert… Troquant la côte azure pour le chant du loup, il se tailla un dessein de plein gré, ralliant son cœur aux yeux de jade d’un vent si doux… Dans ce bivouac en plein air, il avait obéi à l’abandon de la nature, à sa force, qui avaient fait de lui un homme d’instinct, tatouant sa liberté sur son torse d’écorce souverain.