Lorsque notre ainé avait trois ans, j'ai eu une vision pour lui. Couchée sur le dos (après ma routine de respirations matinale!), j’ai eu ce «flash» très fort d'une école différente. Je l’ai imaginé sur une terre, un peu comme les écoles à l’ancienne. Tout se dessinait clairement dans ma tête: on y commencerait les journées avec des histoires, on parlerait, on rirait en apprenant et bien sûr, on jouerait dehors. Une école qui reflète la vie. Après avoir réfléchi et «vu» l’école, j’ai regardé ce qui existait déjà et ce qui s’en approchait. Je connaissais déjà les écoles alternatives. Je me suis donc informée sur celles-ci et j’en ai visité plusieurs pour me rendre compte qu’elles rejoignaient mon idéal. J’ai donc approché ma commission scolaire et des intervenants connaissant le milieu éducatif alternatif pour apprendre les étapes qui mènent à la naissance d’une telle école. Pendant trois ans j’ai fait les démarches nécessaires pour qu’elle prenne vie. Elle a vu le jour en septembre 2010.
Attention: je n'ai absolument rien contre l'école traditionnelle, il en existe des merveilleuses, tout comme il existe des professeurs exceptionnels partout! Je vous présente un portrait d'une école différente pour répondre aux questions de plusieurs qui désirent aussi savoir comment fonder un tel projet. Quiconque ayant à coeur un milieu d'apprentissage autre pour son enfant peut en faire la demande à sa commission scolaire. Ce type d'école est toujours l'initiative des parents (il est bon de savoir que le processus de création prend au minimum deux ans). Ce n'est pas parce que je décris des qualificatifs de notre milieu qu'ils ne se retrouvent pas ailleurs! Au contraire. Et surement que vous serez nombreux à partager les beautés de votre école. Cette mise en garde est importante, car jamais je ne voudrais froisser parents ou enseignants qui ont à coeur le bonheur de leurs écoliers.
Les écoles alternatives
Les écoles alternatives existent depuis plus de cinquante ans au Québec. Les enfants qui les fréquentent réussissent majoritairement leur secondaire. Pourquoi? Se pencher sur la question ouvre les horizons L’école alternative a comme base le respect de l’enfant tel qu’il est. On respecte son rythme, ses besoins et ses intérêts. Les parents y sont présents. Ils y partagent même leurs connaissances. Puisqu’ils participent à construire l’école de leurs enfants, ils peuvent y transmettre leurs valeurs familiales. Leur présence est déterminante pour le succès de l’enfant, et ici, je ne parle pas de succès en termes de résultats scolaires ou de diplômes, mais plutôt en termes d’audace, de création, de passion, de croyance en l’humain pour reprendre les mots de Monique, directrice des premiers temps de notre école. Et ils apprennent à se connaitre. Cette caractéristique était importante pour moi comme femme qui ne savait pas ce qu’elle aimait à sa sortie d’université. Je ne connaissais pas plus ni mes forces ni mes faiblesses. «Connais-toi toi-même», disait-il.
J’en ai parlé à des gens de mon entourage et tout de suite, des familles et des professeurs se sont joints à moi, souhaitant tous une approche basée sur les enfants; une approche antiperformance (mais qu’a-t-on aujourd’hui à vouloir exceller sans prendre le temps de vivre?). En cours de route, on m’a proposé de créer une école privée, mais je n'envisageais pas cette possibilité. J'espérais plutôt une école publique qui serait offerte à tous, sans aucune discrimination. J'y voyais des enfants de tous les milieux sociaux. Le seul critère pour faire partie de cette école serait le désir d’implication des parents et le partage des mêmes valeurs.
Après deux ans, la commission scolaire a accepté le projet et a réuni une équipe merveilleuse pour explorer les possibilités et les présenter aux futurs parents, bâtisseurs de l’école de leurs enfants. Nous les avons tous rencontrés un à un et je me rappellerai toujours de ces moments très touchants. Ils n’en dormaient plus: très émus, ils espéraient un lieu où les enseignants verraient le potentiel de leurs merveilles, où ils fonctionneraient à leur rythme tout en leur permettant d'être présents et de veiller sur leurs enfants. J'ai pu être témoin de leur implication touchante à la première assemblée: sur cent familles, deux cents parents étaient présents, autant les mères que les pères. Leur passion est palpable, ils sont très engagés et l'école est ainsi le prolongement naturel de la maison. Lors de cette soirée, Monique, la directrice, a pris la parole. Elle m’a remerciée devant tout le monde. Prise par surprise et retenant mes pleurs, je recevais pour la première fois de ma vie une telle reconnaissance. Je me suis dévouer pour ce projet, égoïstement pour mon fils (et en suivant ce flash d’école idéale «absurde» pensons-y bien!). Ce que j’ai reçu à ce moment-là comme gratitude est de loin l’un des plus beaux cadeaux de ma vie, un des moments les plus forts. Cette école existera peut-être encore dans cinquante ans. Et ce n’est pas seulement la vie des enfants qui y sera transformée, mais aussi celle de leurs parents, des frères et sœurs, des professeurs qui y travailleront. Cet accomplissement m’incite aussi à continuer d’entreprendre des projets aussi fous et grandioses que celui-ci! Je vous encourage à bâtir dans votre communauté ce qui vous vient comme idée.
Une entrée naturelle
Chaque semaine, je me rends à l'école de notre ainé pour donner des ateliers aux enfants ou pour tout simplement aider en classe. J'amène toujours notre benjamin avec moi. C’est absolument merveilleux! Les écoliers le «chouchouttent» et l'enseignante l’utilise même pour expliquer aux élèves différentes étapes d’apprentissages. Je nous sens toujours les bienvenus et lui est aux anges! Il n’a pas assez de temps pour tout voir, découvrir, recevoir les câlins et jouer! En classe, Justine le bécotte et Fabrice lui prête son «ballon-siège». Si nous sommes dans le gymnase, il essaie tous les ballons et un enfant, que d’autres pourraient qualifier de turbulent, prend soin et veille sur lui. Si nous revoyons l’orthographe des mots avec un petit groupe d’enfants à la cafétéria, il a son coin pour «cuisiner» et courir d’un enfant à l’autre! Nous mangeons avec son grand frère, fier et heureux d’être avec nous. Il était bébé dans mes bras la première année. Quatre ans plus tard, l'école est aussi sienne, même s'il n'a pas fait son entrée à la maternelle encore! On peut aisément décrire son petit chemin d'intégration naturelle. Il est en pays de connaissances. Le soir venu, je m’exclame souvent sur mon bonheur. Je suis comblée d’être avec mes enfants et de les voir s’épanouir ainsi.
Déprogrammation
Enseigner différemment a demandé beaucoup de patience aux instituteurs des élèves plus âgés qui avaient l'habitude de l'école traditionnelle. Ils ont dû être «déprogrammés» (les parents aussi d’ailleurs)! Au cours des premiers mois, ils ne savaient pas quoi faire et comment être avec la liberté de penser et de choisir qui se résumait dans leurs esprits à lancer des crayons dans la classe! Les professeurs ont utilisés tous les moyens possibles pour leur montrer à être libres et autonomes, mais responsables. Chez les plus petits, ce problème ne s’est jamais posé.
Les parents, eux, doivent avoir confiance en leur enfant: les performances académiques importent peu à l’alternatif. Le parent ne peut situer son enfant avec des notes. Il suit plutôt le développement global de celui-ci (ses forces, ses défis, académiques et personnels), à son rythme et sur sept ans. Par exemple, il se peut que son enfant apprenne à lire plus tard, ou plus tôt qu’un autre. Le parent doit croire en lui, peu importe, et dans tout ce que l’enfant est. La confiance n’est-elle pas la base de toute relation? Il n’y a donc pas d’évaluation chiffrée, ni de comparaison. Ainsi, lorsque j'ai rencontré la professeur de Louis, à la remise du «non bulletin» (il n’est ni traditionnel, ni chiffré), nous avons parlé pendant une heure. Nous avons discuté de la manière dont il se développe à l'école, de la manière dont il interagit avec les autres, de sa personnalité, de ce qu'il aime. Nous avons à peine effleuré la question des «notes» (qui n’en sont pas, ce sont des évaluations en mots, des auto-évaluations aussi parce qu’autant l’écolier apprend à se corriger, autant il apprend à se situer lui-même dans ses différents apprentissages). Par ailleurs, les parents peuvent venir en classe comme ils le souhaitent pour aider et être aux faits de tout! Je les salue. Ils participent activement à une vie écolière lumineuse et magnétique ainsi qu’au succès de leurs enfants et ce même s’ils ont un travail et un horaire chargé. Ces parents voulaient être présents auprès de leur progéniture.
Apprendre à se connaitre
Le succès (et un certain pouvoir) implique la connaissance de soi. C’est le drame de la société aujourd’hui: les gens ne savent pas ce qu’ils aiment et ce qu’ils veulent faire; ils suivent les autres au lieu de « se suivre » eux-mêmes. J’aurai réussi comme maman si Louis et Charles sont heureux et s’ils font ce qu’ils aiment dans la vie. S’ils ont des passions et qu’ils vibrent chaque jour. Pour moi, c’est ça la priorité.
L’école alternative ne cherche pas à ce que les enfants apprennent par cœur ce qu’il y a dans des livres. Elle souhaite qu’ils se posent des questions, qu’ils apprennent à penser, à échanger, à s’exprimer d’autant de façons qui les animent. Ce processus de développement se fait sur sept ans. L’enfant se fixe lui-même des objectifs sur une courte ou plus longue durée, selon le projet. Il choisit ce qu’il veut faire (les enfants apprécient beaucoup cette « liberté » ou autonomie) selon ses intérêts du moment. Par exemple, le professeur offre à l’enfant la possibilité pour l’heure à venir de lire, de faire des jeux mathématiques avec tel parent ou de pratiquer l’orthographe avec un autre parent. Il choisit aussi de quelle façon il souhaite participer à de longs projets, il choisit son comité. Il est au cœur de son développement. Il apprend ainsi à se connaitre et à se définir.
Le professeur est témoin de ces démarches et y participe en tant que guide et non pas en tant qu’autorité. La non-conformité est acceptée et n’engendre aucun sentiment de culpabilité. Les professeurs observent, écoutent et accompagnent. Ils bâtissent avec l’enfant. «Le rôle du maître n’est pas de se contenter de laisser-faire, mais de mettre en œuvre l’enthousiasme de l’élève et de lui donner les moyens d’une véritable dynamique d’apprentissage permettant de construire ensemble de véritables acquisitions »l» Célestin Freinet.
John Taylor Gatto, professeur et auteur de Underground History of American Education1 a analysé les problèmes de l’éducation moderne forcée de masse. Selon lui, l'école telle que nous la connaissons, a été faite pour former des ouvriers qui ne sont pas portés à penser par eux-mêmes. On n'y veut pas d'enfants différents. Voici plutôt ce qu’on leur montre :
1. rester en classe parmi les autres enfants «numérotés» et demeurer enfermés ensemble;
2. être en compétition pour la faveur du professeur et ne pas s'investir dans son travail, car lorsque la cloche sonne, on passe à autre chose sans terminer ce qu'on est en train de fair;
3. se soumettre à une chaîne de commandement, de pouvoir «policier» (et à ne pas penser par soi-même);
4. ne pas choisir, mais suivre ce que l’enseignant décide;
5. être sans cesse évalué et jugé;
6. à être toujours surveillé et à ne pas avoir de temps privé pour soi.
On devrait promouvoir la liberté des élèves dans les institutions plutôt que de leur enlever toute conscience. En y pensant bien, les écoles n’enseignent rien d’autre que d’obéir aux ordres (et pour continuer ce raisonnement, un bon politicien n’apprend pas à l’être en sciences politiques, ni un bon poète en classe de littérature). J’adore lire sa pensée: «les bonnes choses arrivent à l’esprit humain lorsqu’il est laissé à lui-même ». WOW!
Réussir sa vie, pas ses examens
«Ce n’est pas en mesurant un enfant qu’il grandit plus vite». L’école alternative est basée sur les petites réussites, et non sur un bulletin de fin d’année. Une petite victoire est si valorisante. Chacune compte. C’est tellement important! Mon amoureux a été le premier à me valoriser et ma vie en a été transformée. Commençons donc par valoriser nos enfants. La compétition fait mal aux adultes; il faut être fort pour ne pas se dévaloriser lorsqu’on est en constante comparaison (et il ne peut y avoir que des meilleurs dans une classe). C’est pire pour nos enfants! On leur donne des notes (parfois même à voix haute!)! Comment se sentent-ils lorsqu’elles sont faibles? S’ils ne comprennent pas une matière? Est-ce qu’on veut bâtir leur vie sur un sentiment de dévalorisation ou de fierté? Qu’est-ce qui donne plus de confiance en eux, en la vie?
Notre directrice dit: «On souhaite aider l’élève dans le développement de tout son potentiel. L’aider à être, à grandir et à agir en vivant pleinement sa vie d’enfant dans un climat qui favorise son bien-être». L’enfant de l’école alternative prend conscience de ses forces, de ses faiblesses et des endroits où il peut explorer diverses compétences.
Un enfant qui n’est pas bon en mathématiques n’est pas un bon à rien pour autant. Les écoles d’aujourd’hui sont bonnes pour certains enfants, mais qu’arrivent-ils à ceux qui ne sont pas doués sur le plan académique, ou tout simplement plus lents, distraits ou trop rapides? Certains se sentent démotivés, d’autres dévalorisés, alors qu’ils sont peut-être de grands poètes, de grands créateurs ou de grands artistes. Nous devons écouter ces enfants. On ne peut pas les normaliser puisque qu’ils sont tous différents les uns des autres. On devrait mettre tout en place pour que les enfants réussissent leur vie, pas leurs examens!
Exemple. À sa première journée d’école, j'ai vu un petit bonhomme de deuxième année dire à son professeur qu'il était un bon à rien. Elle lui a montré qu'au contraire, il pouvait réussir plusieurs choses. Ça a changé sa vie. Le soir venu, il dit à sa mère: «maman, savais-tu que j’étais intelligent?». Aujourd'hui, cet enfant est en train de s'épanouir.
Un professeur et auteur québécois, Charles E. Caouette, réfléchit lui aussi à notre système scolaire après y avoir travaillé pendant 40 ans. Lors d’une conférence en novembre 2004, il parlait de notre système d’évaluation qui permet de classer chaque individu et faire en sorte que plusieurs se sentent dévalorisés puisque la marginalisation est de mise. «On rejette tous les jeunes qui différent sensiblement des autres, ou qui s’adaptent mal aux approches
pédagogiques uniformes qu’on leur impose». Il complète en mentionnant qu’à «l’école, les jeunes n’acquièrent pas que des savoirs académiques, des savoirs-faire précis et des compétences transversales plus ou moins confuses. Ils apprennent comment se comporter, ils apprennent ce qui est apprécié et valorisé et ce qui ne l’est pas. Au niveau des attitudes et des valeurs, ils apprennent très bien, suite à des années de conditionnement, ce qui est reconnu et prôné par le paradigme industriel, à savoir: l’individualisme, la performance à tout prix, la compétition, l’importance de l’image publique, le non-respect des différences individuelles et collectives, les différentes formes d’intolérance et de violence physique et psychologique ».
« Ma chère Jacynthe, Tu peux être fière de ce que tu as réalisé avec l'école Des Cheminots! Combien de belles personnes tu as fait ressusciter, qui n'attendaient qu'une impulsion de vie pour réaliser qu'il y avait un espoir pour leurs enfants et pour eux. Bravo! » Pierre Chenier, président du Réseau des écoles alternatives du Québec
Apprendre bien plus, apprendre les outils pour réussir notre vie
À l’alternatif, le programme est le même qu’à l’école traditionnelle. C’est la façon d’enseigner qui est différente. L’enfant de l’école alternative fait des choix selon ses intérêts, son rythme, ses besoins. Toutefois certaines limites s’imposent, mais le cadre est plutôt vaste. Le professeur connaît l’ensemble du programme éducatif et s’adapte aux apprentissages de ses élèves. L’enfant voit les matières de base, telles que le français et les mathématiques mais avec l’aide d’outils amusants parmi lesquels ils a le choix.. Les enfants peuvent revoir l’orthographe des mots appris en se lançant la balle, ils peuvent apprendre à compter en dessinant. J’adore les voir lire à leur retour en classe après la récréation. De façon autonome, ils choisissent un livre et une place, par terre, sur le sofa, contre un ami et lisent, tout simplement ou aident celui qui a plus de difficulté. Je suis émue à chaque fois. C’est pourtant si simple, mais que c’est beau!
En ne forçant pas les choses, elles se font naturellement. Si on désire que les enfants apprennent et se découvrent, ils doivent être intéressés! Les classes regroupent en plus différents âges, ce qui permet aux plus jeunes d’imiter, avec bonheur, les plus vieux. Et à ces derniers, d’enseigner, avec entraide et fierté, aux plus jeunes. Pensons-y: la ségrégation par groupes d’âge se fait uniquement dans le milieu scolaire. Nulle part ailleurs on ne rencontre une telle homogénéité. Les familles ne sont pas comme ça, la vie ce n’est pas ça non plus. C’est de toute beauté de voir un enfant de neuf ou dix ans aider un plus petit. Les enseignants ne peuvent pas apprendre à toute une classe à lire au même rythme!
Ainsi, plutôt que de viser l'uniformisation, l'école alternative mise sur les différences et les expériences de vie des enfants pour enrichir tout le groupe. Quand je suis partie en tournage à Cuba, j'ai amené mes fils. Je craignais toutefois que notre aîné subisse un décalage d’amitiés! Qu'il se sente exclu à son retour puisque nous partions quelques jours après la rentrée scolaire. Tel un réflexe d’aller puiser la beauté et l’apprentissage dans chaque nouvelle situation, son enseignante a eu la merveilleuse idée d’utiliser le voyage comme enseignement autant pour notre fils que ses amis. Elle lui a demandé de réaliser un photo-reportage à partir de ce que les autres élèves souhaitaient qu'il photographie là-bas. Il a pris son travail avec beaucoup de sérieux; je ne pouvais pratiquement pas toucher à l’appareil photo devenu sien. Il désirait même partir sans nous, avec l’équipe, à la recherche de locations… et de trésors. À son retour, il a fait un exposé de 40 minutes sur Cuba... à six ans! Un photo-reportage vu par lui et dans ses mots. Il a enrichi sa classe qui rapporta avec passion ses nouveaux savoirs à leurs parents le soir venu. Et le lendemain, notre fils souhaitait faire d'autres exposés.
Les différences
Les enfants qui présentent des différences ne sont pas étiquetés «à problèmes». On tente de faire ressortir le positif de chaque situation. Par exemple, j'animais un atelier de sport pour une douzaine d'enfants (un après-midi par semaine, les parents s’occupent des enfants pour donner le temps aux professeurs de revoir tout et de faire de la recherche). Ils étaient plutôt turbulents et je m'époumonais parce que je n'arrivais plus à me faire écouter. J'ai donc pris le plus «vivant», je lui ai donné un sifflet et je lui ai demandé d'animer l'atelier à ma place. Il était tellement bon. Cet enfant-là est un leader, il était très créatif dans son animation et arrivait à se faire respecter beaucoup mieux que moi. J'ai vu sous mes yeux la chenille se transformer en papillon. J’ai vu aussi l'enseignante de mon fils prendre une dizaine de minutes chaque jour avec ce petit garçon plus agité pour qu'il écrive à ses parents comment s'était déroulé sa journée, avec l’aide et le réconfort de sa sœur aînée que l’éducatrice était allée chercher. Au fil des mois, il s’est calmé et s’est fait admettre parmi les autres élèves. Ils l’ont même pris sous leurs ailes. Je trouve ces attentions profondément touchantes. Il m’arrive souvent, lorsque je suis dans cette merveilleuse école d’être très émue lorsque je vois les parents présents, les enfants heureux et , surtout lorsque je réalise que les plus turbulents (qu’on aurait probablement isolé ailleurs ) sont remplis d’estime ici parce que les éducateurs en place (autant les professeurs que les parents) prennent le temps d’échanger avec eux et de leur confier des tâches qui les font grandir.
Laissons les enfants être des enfants
Notre éducation «catholique» nous a enseigné qu'apprendre devait faire mal. Qu’on devait souffrir pour mériter. C'est faux. On apprend bien mieux en s'amusant. Ce que je souhaite depuis le début de l’aventure de cette nouvelle école, c’est qu’on respecte les besoins de l’enfant: ses besoins de découvrir, de jouer, d’explorer, et de rire. On ne peut pas demander à un enfant de six ans d’être un adulte. Un enfant doit être enfant avant d’être adulte. Je veux que mon enfant soit enfant, je n’ai pas envie qu’il performe. C’est insensé! De toute manière, pour performer, l’enfant doit être bien. J’ai cherché à performer dans le passé. J’ai fait un baccalauréat international en sciences pures et j’avais d’excellentes notes en mathématiques, physique et chimie. Je n’avais aucun intérêt dans ces matières. Je retenais tout par cœur pour performer. En fait, je ne comprenais pas vraiment ce que j’étudiais, je ne faisais que reproduire. Ce qui fait la beauté d’une école alternative, c’est qu’on y apprend par l’expérience et pas que par l’académique. On apprend aussi à s’exprimer, à être avec les autres et à être autonomes. Par ailleurs, « si on veut développer l’autonomie des jeunes, il faut évidemment reconnaître et respecter cette autonomie. Et respecter l’autonomie de l’autre, c’est accepter de perdre du pouvoir sur lui. C’est ce qui fait peur à tellement d’adultes, surtout en milieu scolaire », dit Charles E. Caouette.
Laissons les enfants être et ne leur mettons pas tout le poids de nos erreurs sur leurs frêles épaules. On leur en demande beaucoup trop . Ils doivent avoir une vie. Une vie d’enfant et plus tard, une vie d’adolescent. Je pense aussi à tous ces accompagnements parascolaires: aide aux devoirs, camps d’été, accompagnements pour les examens, école du samedi… Arrêtons! Donnons-leur une pause! L’école de la vie est tellement plus importante que ça! L’exploration à la maison et au jardin, jouer, tisser des liens, respirer, se retrouver, s’interroger: c’est ce qui est vraiment important! Les jeunes doivent avoir du temps pour n’avoir rien à faire, ils doivent pouvoir relaxer, ne pas toujours avoir des activités organisées. C’est trop! Ils vont à l’école à plein temps, ils ont des devoirs ou d’autres cours en soirée et le week-end, ils accompagnent leurs parents pour les tâches de la maison et ont encore d’autres cours. Ils n’ont plus de temps pour eux. On ne peut pas leur demander tout ça. On doit se trouver des
ressources pour libérer nos enfants de nos responsabilités, de nos tâches et de notre horaire. Laissons-les être! Arrêtons de les « caser », de leur préparer des semaines dans lesquelles ils n’ont aucun temps libres à eux et dans lesquelles ils ne savent plus quoi faire s’ils n’ont rien de préparé à l’avance. Un enfant devrait être capable de s’amuser dans la nature avec un bout de bois et des roches. De nos jours, ils sont tellement organisés qu’ils n’ont plus d’espace pour penser, choisir, imaginer et créer. On les régie, on les étouffe, on les contrôle. Laissons-les vivre. Laissons-les respirer! Dans le silence aussi parfois. Et avec eux-mêmes. Étourdis par ce train de vie d’adultes performants, eux non plus ne s’entendent plus.
Les enfants passent leur temps à l’école, ensuite au service de garde ou à la garderie et durant l’été dans les camps. Ils n’ont plus de vie à eux. Ils étouffent sous l’absence de moments de liberté. Ça ne peut pas fonctionner ainsi. Les enfants ont besoin de bouger, d’imaginer et de respirer.
Je ne dis pas que l’école alternative est la solution ou qu’elle est l’idéal pour tous les parents et pour tous les enfants. Je dis simplement qu’un enfant a besoin d’être, d’avoir du temps à lui, de se retrouver, de jouer dehors, d’être avec ses amis, de se raconter des histoires, d’être créatif et d’être enfant. Nous devons nous arrêter. Un enfant ne peut pas être moulé comme un adulte. Chaque enfant est différent et nous devons les suivre dans leur différence. Ils doivent nous dire ce qu’ils sont, ce dont ils ont envie, ce dont ils ont besoin et nous devons être à l’écoute de leurs besoins.
Rappelons-nous aussi que tous les intérêts sont valables. Qu’il n’y a pas de métiers plus importants que d’autres. L’essentiel n’est-il pas que nos enfants soient heureux dans ce qu’ils
choisissent?
Je désirais que notre garçon garde l’étincelle dans ces yeux; qu’il reste un enfant pendant toute son enfance. C’est réussi. Je ne voulais pas qu’il performe et pourtant, il apprend à une vitesse incroyable, tout en me disant qu’il ne fait que jouer! En deux mois, il savait déjà lire et écrire. Dès ses 7 ans, il a dévoré quatre livres imposants pour son âge en une semaine (même s’il avait reçu une Wii à sa fête, il préférait lire, bonheur!). Et que dire de la façon dont il s’exprime devant ses amis et avec les plus grands, combien il est responsable et autonome et surtout, comme il a le dos bien droit lorsqu’il entre à l’école.
L’éducation est importante, elle nourrit l’enfant et l’aide à devenir ce qu’il est. Bien structurée, elle donne le goût d’apprendre, d’explorer, de découvrir, et valorise de belles relations saines et enrichissantes. Mon école de rêve, pour mes fils, c'est tout ça!