Les parents ou les pairs

Écrit par: Jacynthe
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Publié le: 6 novembre 2015
Les parents ou les pairs

LES PARENTS OU LES PAIRS ?

Danièle Starenkyj©2015 www.publicationsorion.com

Dans le parc national Kruger en Afrique du Sud, de jeunes éléphants arrachés en 1980 à leurs mamans et aux grands mâles sont envoyés en groupes dans différentes réserves du pays. Vers la fin des années 1990, ils ont atteint la maturité sexuelle. Devenus délinquants au-delà de toute imagination, ils tuent un humain, chargent des touristes, attaquent des rhinocéros (un animal normalement évité) en leur jetant des bâtons et de l’eau, allant jusqu’à en tuer une vingtaine, et, phénomène tout à fait choquant, certains se mettent à monter des femelles rhinocéros.

Interpelée, la zoologiste Marion Garaï se penche sur les comportements aberrants des éléphants mâles relocalisés. Elle refuse de les stigmatiser comme « très délinquants » et rappelle en insistant qu’ils sont orphelins. Dans des circonstances traumatisantes, ils ont été brutalement arrachés à leurs mères et coupés des vieux mâles. Ils ont ainsi été privés d’une éducation digne de leur espèce à laquelle ils avaient droit. Détachés de leurs parents, ils se sont développés au contact de leurs pairs qui n’en savaient pas plus qu’eux sur la manière digne d’être un éléphant doux, fidèle, sensible, intelligent, raisonnable, et même chaste, et ayant le sens des responsabilités et de la famille. En effet, c’est ainsi que, depuis des siècles, les cultures avec lesquelles ces énormes pachydermes végétariens cohabitent, les connaissent et les décrivent…

Marion Garaï affirme qu’à l’origine d’une telle démence il faut pointer le délitement du lien social, l’absence de vie de famille qui conditionne le comportement, et l’absence de « vieux mâles qui normalement se chargent de faire respecter une certaine discipline chez les jeunes durant la période des accouplements ». Pour preuve, la zoologiste avance que dans une autre réserve, au Natal, des jeunes mâles, eux aussi venus de Kruger sans leurs mères et sans vieux mâles pour les tenir en bride, ont commencé à faire les voyous (1).

En 2004, le Dr Gordon Neufeld, psychologue clinicien, et le Dr Gabor Maté, médecin et psychothérapeute, rappelaient aux parents le besoin humain fondamental de l’attachement des enfants aux parents (2). Ils dénoncent le modelage sur les pairs de plus en plus courant chez les jeunes dans notre société. Pourquoi ? Ces spécialistes de la nature humaine déclarent que le modelage sur les pairs – les copains – crée une culture de jeunes agressive et précocement sexualisée. Celui-ci se substitue à l’autorité naturelle des parents, la véritable source saine de contact, de sécurité et d’amour des enfants. Or, comme le démontre plusieurs expériences contemporaines, les groupes de jeunes -- qu’ils soient animaux ou humains – séparés des adultes, et par défaut élevés uniquement les uns par les autres, développent des comportements d’intimidation, d’agressivité, de violence, d’autodestruction (consommation d’alcool et d’autres drogues, décrochage scolaire, mutilations).

Ce que la zoologiste Garaï appelle le délitement du lien social, Neufeld l’appelle « la destruction de la hiérarchie générationnelle naturelle », véritable cause de ces comportements dévastateurs. Les jeunes, coupés de leurs parents qui ne jouent plus leur rôle normal de repères d’orientation, n’ont pas d’autres choix que de recourir à l’instinct et aux impulsions. « L’instinct de dominer survient quand il y a perte d’attachements appropriés »2. Il s’en suit un vide d’attachement intolérable que l’enfant cherche à combler – mais en vain -- par le sentiment de puissance que donne le contrôle d’un égal aussi faible que soi.

On doit se demander quelles sont les causes de cette catastrophe générationnelle. Certaines études pointent vers notre société matérialiste qui, de plus en plus, exige des parents un attachement indéfectible à leur travail. L’expression 24 /7 /365 semble être devenue positivement la marque de l’employé(e) modèle prêt(e) en tout temps et en tout lieu à répondre au téléphone, vérifier les courriels, passer ses soirées et fins de semaine au bureau, et à rapporter les dossiers à la maison pendant les congés. Par le fait même, une telle société pousse les enfants privés de la présence active de leurs parents, à l’attachement à leurs pairs. Sous le prétexte que l’enfant a besoin d’être sociabilisé, elle justifie qu’il soit, chaque jour pendant huit heures au moins, de la crèche à l’école, en passant par la garderie, avec d’autres enfants, et non pas avec des adultes de sa famille.

D’autres études, dont une toute récente3, pointent les médias sociaux et la culture du jeu électronique qui isolent pendant 9 heures par jour -- outre les heures passées à l’école, à manger et à dormir -- les adolescents de leurs parents. Les conclusions de ces études ne devraient surprendre personne : nos jeunes modelés par les pairs virtuels des applications mobiles, isolés électroniquement de leurs parents, souffrent d’une intense solitude, d’une perte tragique d’identité. Les interactions électroniques, pas plus que les interactions avec les pairs, ne créent l’attachement, l’engagement, l’intimité. Dans ce monde, la soif humaine d’amour n’est pas étanchée.

Rappelons 4 que le secret de la résilience, cette capacité de rebondir quand la vie nous a bafoués, est une main tendue que l’on saisit avec reconnaissance. Insistons : il est impossible d’exercer cette capacité à surmonter les épreuves sans que quelqu’un accepte de nous lier à lui, et sans que nous prenions plaisir à être attachés à un être humain soucieux de nous redonner la certitude d’être aimés. L’enfant est appelé à grandir. Il ne le fera avec bonheur que s’il est rattaché à des parents bienveillants, avec « des liens d’humanité, des cordages d’amour »5.

Le métier le plus humain qui soit, le plus noble, le plus altruiste, le plus obligé, demeure celui de parent. C’est le métier le plus fondamental. C’est le métier qui forge véritablement l’avenir. Que les parents conscients de leur force s’approprient cette responsabilité, et apprennent à vivre un nouveau paradigme : le rôle égal de l’homme et de la femme face à la vie à venir, qui vient, et qui est venue. Ainsi, le plein épanouissement de l’humanité sera honnêtement et respectueusement favorisé1.

Danièle Starenkyj©2015

1. Starenkyj D., Devenir parent – Vivre un nouveau paradigme, Orion, 2014.

2. Maté G., Neufeld G., Retrouver son rôle de parent, Éditions de l’Homme, 2005. Version originale anglaise : Hold On to Your Kids – Why Parents Need to Matter More Than Peers, Vintage Canada, 2004.

3. Landmark Report : U.S. Teens Use an Average of Nine Hours of Media Per Day, Tweens Use Six Hours, New Media Use Census from Common Sense Details Media Habits and Preference of American 8-to18-years-old, November 3, 2015.

4. Voir l’article de Danièle Starenkyj : « La filiation : toujours une question de cœur ».

5. Starenkyj D., Réflexions pour une vie meilleure, Orion, 2015.

photo: Marïphotographie

 

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